décembre 2020

Risques numériques : « les jeunes sont les premières victimes »

Née en 2005 pour aider les mineurs à se servir du numérique en sécurité, l’association e-Enfance est bien placée pour observer les dérives. Entretien avec sa directrice générale, Justine Atlan.
Dessin Christian Maucler

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Votre association annonce 10 000 sollicitations annuelles liés à des problèmes dans l’usage du numérique. Comment évolue ce chiffre ?
Il est en augmentation constante depuis le début, mais ce n’est pas étonnant puisque l’usage du numérique est lui-même en augmentation. Il y a de nouvelles pratiques, de nouveaux canaux, des réseaux sociaux qui évoluent, ce qui fait plus de lieux de partage et d’échanges.

Qui vous contacte et pour quels motifs ?
Jusqu’à l’an dernier, c’étaient à 50/50 des jeunes et des parents. Depuis le confinement, la proportion de jeunes augmente. Le motif principal reste le cyberharcèlement avec pas mal de problèmes liés au sexe comme le revenge porn ou le chantage à la webcam, mais aussi les injures et insultes. Ensuite, c’est tout ce qui concerne l’usurpation d’identité, le piratage de compte, les fausses rumeurs. A la marge, on a le harcèlement scolaire, les problèmes psychologiques, l’exposition à des contenus choquants. Du côté des parents, c’est d’abord le harcèlement et ensuite ce qui concerne la prévention aux addictions, les règles à établir en termes de temps consacré aux écrans.

Les jeunes sont très concernés par le phénomène. Qu’est-ce qui les différencie des autres usagers ?
Il y a des constantes liées à la jeunesse et notamment à l’adolescence, des étapes que chaque génération vit : la prise de risque, les défis qu’on se lance, l’envie d’aller vers l’inconnu, d’expérimenter, la rupture avec le monde des adultes pour créer sa propre identité, l’exaltation, l’attente d’absolu, avec la question centrale de la sexualité. Cela s’exprime en numérique, dont la dimension est complètement intégrée. Les adolescents d’aujourd’hui sont nés avec, elle fait partie de leur vie dans tous ses aspects y compris affectifs et sexuels. A la limite, le préfixe « cyber » n’existe pas pour les jeunes, il n’y a pas de distinction entre le monde et le numérique, c’est plutôt un artifice de boomer ! Mais envoyer des images ou des vidéos osées, c’est de l’insouciance ou de la prise de risque, et ça peut se retourner en « revenge porn ». Les adultes n’ont pas la même perception. Beaucoup de problématiques tournent autour de l’identité sexuelle, des questions de genre et de pratiques qui se partagent sur les réseaux sociaux. L’envoi de « nudes » est pour eux banal alors que c’est choquant pour les adultes. On note d’ailleurs chez les jeunes une coexistence de comportements crus, osés et un besoin d’affection, de sentiments. Enfin, on est dans une société qui valorise la popularité, la mise en avant comme clé de la réussite. Les jeunes, qui se déterminent beaucoup par le regard des autres, y sont sensibles. Ils sont prêts à donner beaucoup d’eux-mêmes pour être remarqués et peuvent le regretter ensuite. En tout cas, ce sont les jeunes les premières victimes du mésusage des réseaux sociaux.

Sur certains phénomènes comme les fake news, les enquêtes semblent montrer que les jeunes sont plus prudents que les autres.
Oui. Les jeunes sont beaucoup accablés, mais il ne faut pas les stigmatiser. Le numérique est très récent, toutes les générations ont découvert ses usages en même temps, fait les mêmes erreurs. Les adultes sont aussi naïfs que les jeunes face à une fake news. J’ajouterais qu’il n’y a pas eu de transmission, d’expérience venant des adultes puisque ceux-ci n’étaient pas préparés, ni formés. Sur l’affaire Mila, on voit que les adultes ne sont pas capables de se positionner, alors comment pourraient-ils transmettre ? Les jeunes comme les autres ont dû se débrouiller pour appréhender tous les aspects du numérique. Mais on peut espérer que les jeunes apprennent plus vite, ce qui semble le cas. Ils sont plus méfiants vis-à-vis des fake news. Ils sont en majorité conscients des risques, ce qui est un premier pas vers la prévention. Dans l’ensemble, ils élaborent des défenses générationnelles qu’ils se partagent. Par exemple, ils ont assez rapidement appris à se méfier des prédateurs sexuels. Comme ils sont tout le temps sur leurs outils numériques, ils ont beaucoup plus d’expérience que les autres générations.

Tous ces risques liés au numérique, existaient avant le numérique.
C’est vrai. Même l’addiction aux écrans est une nouvelle forme d’addiction mais l’addiction en soi n’est pas un phénomène récent. Le numérique est une dimension nouvelle dans laquelle les comportements humains trouvent un nouveau lieu d’expression. Et on y retrouve tous les comportements, y compris ceux qui ne sont pas les plus beaux. Pour cette raison, le numérique doit aussi être un lieu où se transmettent les fondamentaux de la citoyenneté.

En octobre, le ministère de l’Education nationale et de la Jeunesse a organisé des états généraux du numérique pour l’éducation. Cette question a-t-elle été suffisamment abordée ?
Jusqu’à présent, l’Education nationale s’est focalisée sur l’équipement et sur l’intégration du numérique comme outil. Elle aborde très peu la question des usages, aujourd’hui encore – même s’il faut saluer certaines initiatives mises en place, par exemple par le Clemi (1). Au sein de l’Education nationale coexistent des forces contraires entre les partisans du tout numérique et ceux qui restent méfiants et résistants. Il n’y a pas non plus d’effort de politique globale, de discours clair sur toute l’échelle du numérique et la façon de le gérer. C’est d’abord de l’équipement et de l’acquisition de compétences, par exemple à travers le B2I. Aborder les contenus, le rapport à l’information, la citoyenneté numérique reste très dépendant de chaque établissement ou chaque enseignant, selon ses aptitudes et ses goûts.

Les responsables des réseaux sociaux ont-ils réagi avec retard ?
Ce qui les a fait changer, ce sont les fake news car ce problème a commencé à avoir des enjeux politiques, démocratiques et les pouvoirs publics se sont sentis fragilisés. C’est ce qui a incité les Etats à demander aux réseaux sociaux de réagir. Bien plus que le cyberharcelement d’individus. Et même sur ce point, il a surtout fallu attendre que cela touche des personnalités médiatiques. Les jeunes en ont souffert avant mais on considérait que c’était de leur faute. La loi l’a reconnu en 2014 comme circonstance aggravante du harcèlement. Par ailleurs, les réseaux sociaux n’ont pas anticipé toutes les conséquences de ce qu’ils proposaient. Leur intérêt étant d’abord le développement, la sécurité en ligne n’est pas au centre de leurs préoccupations. Pendant longtemps, la modération a été sujet à débat ! Encore aujourd’hui, la responsabilité des réseaux sociaux sur les contenus mis en ligne n’est pas totale. Les contenus illicites signalés doivent être retirés, mais il n’y a pas de sanction liée à la publication. Elle n’arrive que si le contenu est laissé en ligne après signalement. Cela dit, aujourd’hui, il y a possibilité de paramétrer facilement les comptes pour privatiser ce que l’on souhaite. C’est positif.

Est-ce que l’un des problèmes majeurs dans le domaine numérique n’est pas ce flou entre sphère privée et sphère publique ?
L’outil principal aujourd’hui est le smartphone. C’est un objet où l’on peut trouver à la fois de l’intimité absolue et de la publicité, avec lequel on peut, du même geste, soit garder une photo pour soi, soit l’envoyer à une personne, soit la diffuser à plus grande échelle. Avoir ce choix permanent de savoir à qui on destine un message n’est pas si évident. Mais c’est encore une question d’éducation.

Recueilli par S.P.
En savoir plus
e-enfance.org

Etats généraux du numérique

(1) Clemi
Centre pour l’éducation aux médias et à l’information
clemi.fr

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Les conseils du ministère de l'Education nationale pour faire face au cyberharcèlement

Numérique et école

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