décembre 2000

« La délinquance routière est bien pire que le vol ! »

Pour Jean-Pierre Nahon, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Besançon, les comportements sur les routes en France sont tout à fait scandaleux.
Photo Jacques Charles / ER.

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Visiblement, les accidents de la route sont un problème de société qui préoccupe Jean-Pierre Nahon, procureur de la République au tribunal de grande instance de Besançon. Nul besoin de lui poser des dizaines de questions. Dès l'évocation du thème, il réagit vigoureusement :
« Vous avez raison de parler de criminalité routière. Ce n'est pas encore assez perçu comme une délinquance à part entière, qui est dans le fond plus grave que de commettre un petit vol à l'étalage. Il est scandaleux, inadmissible que lorsqu'on prend sa voiture on ne soit pas sûr d'arriver, à cause de soi-même ou parce qu'on aura rencontré un chauffard. On dit que les causes des accidents sont l'alcool, la vitesse : en fait c'est véritablement l'inconséquence des conducteurs. Les gens dans leur véhicule deviennent de véritables dangers publics, partant en particulier du principe que ça n'arrive qu'aux autres. C'est un comportement irresponsable et j'insiste, c'est vraiment une question de comportement, de respect des autres sur la route, de respect des interdictions et des limitations. Globalement c'est vraiment la faute d'inattention qui est en cause, le défaut de maîtrise qui résulte de l'imprudence, de l'inconséquence, de l'inconscience, de la non-observation des lois encore plus que l'excès de vitesse lui-même et que l'alcool. Arrêtons le massacre ! Il n'y a pas bien longtemps, du côté de Marnay, il y a eu un accident parce qu'une moto s'est trouvée devant un camping-car qui faisait un demi-tour sur la route : c'est de l'inconscience totale et il n'y avait pas d'alcool.
Et ne parlons pas de fatalité. Dans un accident, je n'ai jamais vu de fatalité. Il y a nécessairement une faute ou des fautes conjointes. C'est la fatalité pour la victime, peut-être, mais pas pour l'auteur. L'auteur - et par-ois la victime - a commis une faute de conduite, sinon il n'aurait pas provoqué l'accident. D'un autre côté, il vaut mieux si la situation l'exige ne pas forcer une priorité, ne pas s'engager en tant que piéton sur un passage protégé, même si l'on est dans son droit. La prudence est parfois de ne pas vouloir absolument faire respecter son droit, de ne pas se dire
«mon droit c'est de passer, je passe !»
La preuve de ce problème de comportement : quand on fait des appels de phare parce que les gendarmes ne sont pas loin, pendant 5 ou 6 km, tout le monde lève le pied. Même constat quand il y a un accident sur la route : cela fait froid dans le dos et pendant 15 km on roule doucement et prudemment. Et puis dès que c'est oublié, tout le monde conduit n'importe comment. C'est un problème quant au respect de toute la législation routière : pourquoi dépasse-t-on la vitesse autorisée, pourquoi brûle-t-on un feu rouge, pourquoi double-t-on là où il y a une ligne continue ? Les limitations de vitesse, peu de gens les respectent. Ou alors quand vous le faites, on vous le reproche ! Vous gênez, vous vous faites réprimander quand vous ne roulez pas vite, même en respectant la limite.
Si on arrivait à changer ces comportements des automobilistes, on ferait sans doute des progrès énormes mais c'est difficile parce qu'on est des latins. Dans leur voiture, les gens se comportent trop en terrain conquis. Si vous allez en Grande-Bretagne, il y a manifestement un respect important de la législation routière. En France, dès qu'il y a écrit interdit quelque part, l'esprit français est de se demander comment faire pour y échapper. En Grande-Bretagne, on sent plus de respect, pour deux raisons : parce que c'est leur état d'esprit général et parce que la manière de traiter la délinquance routière est plus ferme qu'en France. Chez nous, le législateur a prévu des sanctions lourdes. Mais elles ne sont pas toujours appliquées par les tribunaux. Et il vaut mieux se faire prendre en conduite alcoolisée à certains endroits qu'à d'autres car la justice n'est pas aussi sévère partout. J'estime qu'on doit être sévère en toute matière car le laxisme n'est jamais perçu comme un encouragement à se réinsérer. Je me souviens avoir requis de la prison à plusieurs reprises pour des accidents mortels ou pour des accidents avec alcoolémie et m'entendre dire :
«C'est insensé, on n'est pas des délinquants, on n'est pas des voleurs !». Moi je réponds : «Mais vous êtes pires que des voleurs !» Parce que le préjudice humain, social est bien plus important que quand on détourne de l'argent ou que l'on s'en prend aux biens de quelqu'un.

« Les chauffards n'ont généralement pas conscience d'avoir commis quelque chose de grave ! »

Attention, je ne dis pas qu'il est bien de voler, c'est grave et ce n'est pas normal, mais je dis qu'un accident mortel ou avec des blessés graves entraîne des conséquences bien plus dramatiques qu'une atteinte aux biens. C'est la vie humaine qui est en jeu. Et je suis frappé depuis 26 ans que j'exerce de constater que les chauffards n'ont généralement pas conscience d'avoir commis quelque chose de grave ! Mais il n'est pas facile d'envoyer quelqu'un en prison : on n'envoie que les cas les plus graves. Ce n'est pas simple ni de gaieté de coeur qu'on le fait, ça cause un tas d'autres problèmes. Vous portez atteinte à la famille de l'auteur de l'accident qui est quelquefois le seul à travailler et à rapporter son salaire. De la même manière qu'annuler un permis de conduire peut faire perdre son travail à quelqu'un. Mais peut-on laisser sans sanction quel-qu'un qui enlève la vie à quel-qu'un d'autre ?

« Une voiture est un engin de mort »

Je crois qu'on n'arrivera à rien si on ne fait pas changer l'état d'esprit des usagers. Il faut leur faire prendre conscience qu'une voiture est qu'on le veuille ou non un engin de mort. C'est particulièrement dangereux et il faut apprendre à la maîtriser -, et ce n'est pas si facile que ça. Même pour les voitures les moins puissantes qui aujourd'hui montent facilement à 150. Certains disent qu'il faut brider les voitures parce qu'on nous vend des voitures super-puissantes à utiliser sur des endroits super-limités : c'est vrai que ça pose un problème et que c'est un argument de vente des constructeurs. Et puis la voiture donne un sentiment de sécurité alors qu'en réalité on est totalement dans l'insécurité. On est chez soi, dans son environnement qui rassure alors qu'en réalité ce n'est pas rassurant. Il faut rappeler aux gens qu'ils ont un engin dangereux entre les mains qui peut tuer ou blesser.
Alors respecter la vie des autres, je crois que c'est le vrai problème. Quand ils sont au volant, je crois que les gens perdent la notion du respect dû aux autres. Ils ne perçoivent pas que c'est dangereux, qu'il ne faut pas beaucoup pour tuer quelqu'un, une petite faute de conduite peut entraîner des conséquences dramatiques. Un petit rien, un moment d'inattention peut entraîner des conséquences phénoménales. Même celui qui roule à 50 à l'heure peut être un tueur. Alors il faut être à sa conduite : ne pas allumer de cigarette, manger un sandwich, boire une bouteille d'eau en conduisant. Et il n'y a rien de pire que téléphoner : d'abord parce que vous avez l'appareil en main, ensuite parce que votre attention se porte à la conversation et plus à la conduite. C'est une infraction. On en a relevé 2 à 300 dans le Doubs cette année. Quand on est à sa conduite, on est à sa conduite. Encore un exemple, les publicités au bord des routes peuvent être causes d'accident. D'autant qu'elles sont là pour attirer le regard. Et que dire des fautes d'inattention qui résultent de nos habitudes de suivre un trajet domicile - travail, que l'on emprunte une ou plusieurs fois par jour.

« La justice a fortement tendance à être plus sévère »

A mon avis, pour lutter contre ce comportement irresponsable, il y a plusieurs méthodes. Il y a toujours la prévention par la répression. Si l'autorité judiciaire est capable de lancer des poursuites avec fermeté et de sanctionner sévèrement, je pense que c'est de nature à faire réfléchir. Je crois qu'il faudrait être très répressif pour que les gens comprennent bien que c'est une délinquance grave - parce que c'est comme ça qu'on change les comporte-ments. On peut faire plus de contrôles d'excès de vitesse et préventifs d'alcoolémie organisés par la police et la gendarmerie, ou que moi-même je peux requérir - il y a peu, au mois d'octobre, j'en ai organisé un le long du parc Micaud : en 2 h on a arrêté 10 personnes qui avaient dépassé le taux d'alcool admis. C'est beaucoup et ce n'était pas des gens qui avaient l'impression d'avoir fait quelque chose de mal, alors qu'ils avaient commis un délit. Alors il faut aussi plus de répression pour que les gens se rendent compte de la dangerosité de leurs habitudes. Enfin, pour essayer de sensibiliser, il faut de temps en temps organiser des campagnes chocs de nature à remuer les conducteurs. Le problème est que l'impact est passager. Et il ne faut pas le faire trop souvent parce que tout ce qui est répété devient banal et ce qui devient banal n'est plus entendu.
Il faut aussi parler du comportement des jeunes : faire comprendre qu'on peut s'amuser sans boire et que s'ils veulent boire - ce qui concerne le choix de chacun - il y en a un qui conduit et qui ne boit pas. Mais cela passe aussi par l'exemple que les parents doivent donner en ne buvant pas eux-mêmes avant de prendre le volant. Manifestement, la justice punit plus. Il y a 20 ans, on n'allait pas en prison pour un accident mortel avec alcoolémie. Maintenant il arrive que des gens soient condamnés à des peines de prison fermes. Il y a un glissement de la justice vers plus de sévérité dans l'application de la loi. La loi a toujours été sévère. Il y a une prise de conscience de l'autorité judiciaire. C'est une tendance générale globale. Pour moi, cette tendance est une nécessité est il est heureux qu'elle s'applique de plus en plus. C'est un moyen fort de lutte contre les criminels de la route dont nous pouvons tous être les victimes ».

Recueilli par Philippe Renahy et Stéphane Paris
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