octobre 2015

«Les artistes ont des choses à dire»

Luke est tête d’affiche des Celtivales vendredi 23 octobre, dans le cadre d’une tournée qui suit la parution de son dernier album, «Pornographie». Un titre moins provocateur qu’énervé par l’état de la société. Thomas Boulard, chanteur et guitariste du groupe s’explique.
Photo Richard Dumas

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Si l’on cherche un chanteur de rock à textes en français, en voilà un. Sur le 5e album de Luke, Thomas Boulard dénonce ce qu’il à dénoncer d’une société contemporaine où avidité, parano, hypocrisie, idôlatrie font bon ménage, entre autres. «C’est la guerre» ; elle est pronographique.

«Pornographie» est sans doute votre album le plus rock avec des textes qu’on peut qualifier de concernés par l’état de la société, pour ne pas dire engagés ou énervés. Ce titre, «Pornographie», représente le monde d’aujourd’hui selon vous ?
Oui. C’est la façon dont je qualifie le système de valeurs que l’on tente de nous imposer. Un système d’encerclement, de perfectionnement, de consommation et d’ordre moral. Ce titre exprime la contestation d’une destruction et d’une mutilation de l’être humain par un système qui se cache derrière un ordre moral en se qualifiant lui-même de «bien». C’est un système qui s’autolégitime, qui veut nous faire comprendre qu’on a ce qu’on mérite, que l’on n’a pas à pleurnicher car il y a pire ailleurs. Le tout dans un discours très technophile. Je pense qu’il y a un gouffre entre un homme de 30 ans aujourd’hui et un homme de 30 ans en 2000. Beaucoup plus qu’entre un homme de 1950 et un homme de 1990. Nous vivons des mutations profondes et accélérées. Pour revenir au titre, il faut le prendre étymologiquement, «la peinture des prostituées».  Au sens élargi, ce sont les corps qui se vendent. Ce disque peut être le cri des corps qui se vendent.

Dans cette évolution, vous diriez que la jeunesse d’aujourd’hui est plus résignée ou plus révoltée ?
Résignée. Mais j’ai beaucoup d’empathie pour elle. Je défends les jeunes d’aujourd’hui car on leur donne un monde dégueulasse. Il faut se rendre compte de la façon dont on leur parle et dont on les traite. J’ai le sentiment que si on avait traité les générations précédentes au quart du tiers de la moitié de ce que l’on fait aujourd’hui, ça aurait fait grand bruit, beaucoup plus que mai 68. Je déteste les anciennes générations pour ça, celles qui ont connu le plein emploi et se permettent de donner des leçons. La génération de 68 est une génération de réseaux, qui se coopte, même quand elle n’a pas de diplôme, comme c’est très souvent le cas dans les médias dominants par exemple. Alors qu’à côté, les jeunes générations sont surdiplômées. Il faut le dire car on est en démocratie. Laquelle ressemble plutôt à une ploutocratie, mais au moins on a encore le droit de parler.

Vous vous inscrivez contre l’image de l’artiste «grand enfant irresponsable». Pour vous il doit ouvrir les yeux et les oreilles plutôt que faire du divertissement.
On ne devrait pas dire «artiste engagé». On devrait dire «artiste» ou, si l'on veut préciser, «artiste non engagé». J’ai l’impression que 80 % des artistes sont là surtout pour amuser la galerie. Mais c’est à la conscience de chacun de savoir si on amuse la galerie ou si on dit des choses. De mon côté, j’estime qu’on est à un moment tel qu’il est temps de rentrer dans la bataille du réel et des discours. On peut avoir des choses à dire au même titre que les sociologues, politologues ou économistes.

Vous avez dit être plus intéressé par la littérature que par la musique. Vous n’écoutez rien de ce qui se produit en ce moment ?
C’est exagéré ! C’est simplement que je fais tellement de musique que c’est compliqué et difficile d’avoir un plaisir immédiat à écouter celle des autres. Mais quand j’ai le temps, il y a quand même des choses qui me plaisent. Il y a des rappeuses françaises comme Keny Arkana qui font des choses extra, qui ont des textes, qui ne tournent pas autour du pot. J’aime aussi beaucoup Zone Libre, le projet de Serge Teyssot-Gay, un mélange de rock primitif et viscéral qui est pour moi l’une des plus passionnantes tentatives artistiques actuelles. Mais c’est vrai qu’en général je trouve plus de plaisir dans la lecture.

Le groupe Luke est né à la fin des années 90 au moment où internet commençait à se développer. Depuis, le web a bouleversé beaucoup de choses notamment le monde de la musique. Est-ce encore motivant de faire des disques ?
C’est très compliqué. Il y a quelques années, un disque était un bulletin de vote. Maintenant, un groupe se fait remarquer par un clip ou par un réseau. Je pense que pour un indépendant, affranchi des contraintes commerciales et de ton, en particulier celui de ne pas être anxiogène, il est de plus en plus difficile d’être écouté. C’est aussi compliqué parce qu’internet profite à la musique en anglais. La musique en français devient de plus en plus une musique de niche. A la base, je n’ai rien contre. Si internet permet de développer la musique de niche, la musique en peul, en mandarin ou en dialectes espagnols, je suis pour. Mais ce n’est pas exactement ce qui se passe. Internet ne développe qu’une langue, l’anglais.

D’un autre côté, certains prétendent qu’une des répercussions d’internet est le développement des concerts.
Il n’y a rien de plus faux. Les chiffres disent le contraire. La fréquentation des salles augmente mais pour les 3 ou 4 plus grosses tournées, ce qui tronque les données. La réalité n’est pas ça. C’est plutôt quelques grandes tournées qui fonctionnent et tirent les chiffres et des festivals qui programment tous les mêmes artistes. Le public va voir ce qui marche à la radio et à la télé. Internet n’a pas changé le panel d’écoute et je dirais même qu’il favorise la multiplication d’artistes similaires. C’est comparable à la multiplication des chaînes d’information : on aurait pu croire que la concurrence allait générer la diversité, mais au final on a les mêmes informations partout.
Maintenant le gouvernement a l’air de vouloir défendre la diversité. C’est salutaire parce que la langue est porteuse de valeurs. La littérature française a par exemple des spécificités. Mais aujourd’hui l’anglais est devenu la langue dominante, autoritaire, qui véhicule un système de pensée, une grille de lecture qui lui sont propres et qu’on nous impose.

Pour finir, d’où vient ce nom, Luke ?
On a commencé à un moment où il y avait beaucoup de noms simples de chanteurs. Cela correspondait à ce que je cherchais : un nom neutre, très désincarné. Il pourrait aussi bien être celui d’un chien, d’une marque de microprocesseur, d’une voix de GPS. A l’époque le collectif UNKLE me plaisait aussi beaucoup, notamment pour son côté froid. D’ailleurs, au départ, nous étions un collectif. Mais il y a cette phrase du peintre abstrait Bram Van Velde que j’aime beaucoup : « Il faut faire attention à ce que l'épreuve n’épuise pas l’effet ». Il ne faut pas tout expliquer et garder du mystère.

Recueilli par Stéphane Paris
"Pornographie"
Autant l'écrire, le 5e album studio de Luke est un excellent disque de rock français. Le plus "dur" du groupe avec "la Tête en arrière", en parfaite adéquation avec les textes au vitriol de Thomas Boulard. Lire les titres suffit à situer le propos : "Warrior", "Rock'n'roll", "Indignés", "C'est la guerre", "Rêver tue"... Pour le reste, il faut écouter. Par les temps qui courrent, il n'y a pas tant de chanteurs à textes. Thomas Boulard a des choses à dire. La musique suit, les guitares enfoncent le clou.

luke.com.fr

Discographie
La Vie presque (2001)
La Tête en arrière (2004)
Les Enfants de Saturne (2007)
D'autre part (2010)
Pornographie (2015)

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