Justice et séries télé font-elles bon ménage ? Apparemment oui si l'on se place du côté du petit écran. "Le Jap", "le Proc", "les Cordier juge et flic", "Avocats et associés", "Engrenages" : la floraison récente des titres montre qu'il existe un filon apprécié de l'audimat. Et du point de vue de la justice ? Selon Elisabeth Philiponet, substitut général à la cour d'appel, «ce que l'on voit à l'écran prête souvent à sourire. Mais c'est compréhensible car le propos des scénaristes n'est pas d'être fidèles à la réalité judiciaire. Concentrer une enquête judiciaire en une heure oblige à des raccourcis».
Les exigences formelles sont difficilement compatibles. Première cause, le rapport au temps. La justice doit prendre celui qu'il faut, aller à son rythme sans rien négliger. Les séries ont besoin de tenir en haleine, de vitesse, de rebondissements. «L'audition du témoin-clé de l'enquête au coin d'une rue qui va déclencher une cascade d'événements pour aboutir à la vérité en peu de temps, c'est impossible» juge Elisabeth Philiponet.
Second élément, s'il est télégénique de focaliser l'attention sur un héros central, cela n'a rien à voir avec la réalité. «Le personnage central gomme tous les autres intervenants. Si c'est un flic, les magistrats sont inexistants. Quand c'est un magistrat, on a l'impression qu'il est en permanence sur le terrain, omnipotent, ne déléguant rien et n'ayant qu'un seul dossier à gérer. Tout l'aspect procédurier est forcément banni. Cela participe de l'objectif spectaculaire du feuilleton, mais si l'on veut connaître le fonctionnement de la justice en France, il vaut mieux regarder des documentaires».
Plus graves peut-être, les erreurs de fond, «dues à l'influence des séries américaines. Il y a des confusions. On entend parler de mandat de perquisition ou de procédure accusatoire qui n'existent pas en France. Voir un procureur tancer un juge d'instruction est quelque chose d'impensable».
Au spectateur de faire la part des choses et d'avoir en tête qu'il s'agit d'impératifs de divertissement. «Tout cela n'empêche pas qu'il y a de très bonnes séries s'amuse Elisabeth Philiponet. De toute façon, je pense que l'image que l'opinion a de la justice est beaucoup plus donnée par les médias que par les séries télé». Là aussi, le spectaculaire prime : «une affaire comme celle d'Outreau a beaucoup plus d'influence que n'importe quelle série. C'est un peu dommageable si l'on parle beaucoup moins, dans le même temps, d'autres affaires du même type qui sont très bien menées. On en est encore à l'affaire du petit Grégory. Combien d'autres ont été résolues, depuis, dans les règles et avec efficacité ?».
Stéphane Paris
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