Le smartphone et le cerveau. Une vieille histoire qui a commencé par des interrogations sur les effets des ondes sur le cerveau et le corps. On n’en est plus là  : désormais, c’est l’utilisation intensive qui questionne. On parle de conséquences sur le sommeil (en quantité et en qualité) et la concentration, de problèmes liés à la sédentarité et à l’addiction, d’isolement et de « déficience émotionnelle », de troubles de l’attention et d’irritabilité accrue. Au point que le 4 septembre, une commission d’enquête de l’Assemblée nationale a publié
un rapport alarmant sur les effets psychologiques de TikTok chez les mineurs, les contenus toxiques proposés ajoutant leurs effets aux précités.
Même sans aller jusqu’à l’addiction, la dépendance excessive – et devenue le cas pour la majorité des utilisateurs, c’est-à -dire tout le monde, - suscite des interrogations. Dans
Le Cerveau sans mémoire – Un tsunami nommé smartphone, le neurochirurgien Marc Tadié et son coauteur Thierry Derez, président du conseil d'administration du groupe Covéa, alertent sur les dangers de l'utilisation immodérée du « téléphone intelligent » en s'appuyant sur les dernières découvertes de l’imagerie cérébrale. Et en reconnaissant que
« le smartphone est un outil merveilleux, mais qui ne doit pas nous tenir en laisse ». Il est scientifiquement avéré que le smartphone modifie l’activité cérébrale, phénomène qui s’accentue avec les développements de l’IA dont les deux auteurs traitent finalement autant que du smartphone.
Il ne s’agit plus seulement de baisse de concentration chez les plus jeunes ou de fatigue mentale liée à la surstimulation électronique, mais bien de modification du cerveau. Avec le Gps, plus besoin des étoiles, de sens de l’orientation ou de carte,
« mais en confiant de multiples activités cérébrales au smartphone, il est avéré que le cerveau s’atrophie, le volume de la matière grise diminue ». Le contenu de Google permet de ne plus apprendre par coeur, mais en contrepartie,
« ce sont des kilomètres de réseaux de neurones qui ne se développent pas ». En résumé,
« l’outil digital met notre cerveau en péril, que ce soit en agissant directement sur le cerveau (atrophie des circuits et diminution des corps cellulaires) ou bien par les modifications de nos comportements, les deux facteurs étant liés et interagissant l’un sur l’autre ».
Les deux auteurs proposent une analyse très abordable et pédagogue, basée sur des explications scientifiques étayées d’exemples et d’anecdotes, non sans humour. Dix parties abordent aussi bien le fonctionnement du cerveau, de l’hippocampe, de l’amygdale et l’histoire de la recherche à son sujet, que l’état des connaissances sur la mémoire et la conservation des souvenirs ou encore l’évolution de l’humanité à travers ses progrès techniques. Ils notent au passage que si les précédents visaient à alléger les difficultés physiques, celle-là se propose de délester le cerveau. Un
« changement de paradigme tient Ă ce que la machine, jusqu’alors circonscrite au domaine de l’effort physique, s’attaque depuis peu, mais avec une fulgurante rapiditĂ©, aux fonctions mentales de l’être humain. »Â
Cerveau et mĂ©moireÂ
« La mémorisation automatique, facilitée par son smartphone, s’est substituée de façon insidieuse à notre mémoire. La mémoire naturelle étant le support de notre personnalité, l’automatiser est le début de sa délégation à l’outil digital. » Mémoire et intelligence étant interconnectés et s’influençant l’une l’autre, doit-on céder à la machine le dernier sanctuaire de la spécificité humaine, l’intelligence ? demandent-ils.
Si
« Google est devenu la mémoire de notre absence de savoir », tout n’est cependant pas négatif. En se basant encore une fois sur des données scientifiques, les auteurs affirment que si l’utilisation du digital et du smartphone n’est pas recommandé pour les enfants, ils estiment qu’un apport bénéfique existe, notamment pour les personnes âgées.
De ce point de vue, ils pointent un paradoxe :
« Si le spectre d’avoir la maladie d’Alzheimer, et donc de perdre la mémoire, est la hantise de tout un chacun, personne en revanche ne semble se préoccuper d’un plus grand danger encore méconnu : déléguer sa mémoire à l’outil digital. Progressivement, insidieusement, celui-ci vide notre cerveau de la substance sur laquelle repose notre personnalité, notre intelligence et notre imagination. Il est devenu d’autant plus dangereux qu’il est séduisant et incontournable. Incontournable, car utilisé pour une myriade d’actes de la vie courante ; séduisant, car ludique et économe de nos efforts. Toutefois, le péril pour notre cerveau est bien réel. Des preuves issues des travaux scientifiques de plus en plus nombreux démontrent que notre cerveau s’atrophie à force de déléguer sa mémoire à l’outil digital. »
Plus loin, ils ajoutent que
« l’intelligence artificielle est un outil qui ne doit devenir prothèse que pour les personnes handicapées, déficientes ou âgées. Elle constitue alors une ressource prodigieuse. Cette jeune science mérite une éthique d’utilisation aux antipodes de ce que risque d’en faire la paresse. » Car il semblerait que
« l’utilisation inconsidérée de ces nouveaux serviteurs provoque au jeune âge des lésions potentiellement irréversibles. Arrivant à point nommé, l’intelligence artificielle est considérée comme capable de combler ces dégâts. Le prix à payer ? L’abandon de notre personnalité via la disparition de notre mémoire et l’atrophie du cerveau. »
Les deux auteurs abordent leur sujet de diffĂ©rentes manières : scientifique, historique, sociologique, biologique et philosophique.Â
« Depuis le développement de l’informatique, qui repose justement sur la prodigieuse mémoire de l’ordinateur, cette fonction cérébrale ne semble plus préoccuper que les sujets âgés. Depuis quelques années, il semble que cette fonction primordiale du cerveau humain, sur laquelle se fondent les cinq sens, ne soit plus d’actualité. Pourtant, la mémoire demeure le support de notre personnalité, le tremplin de l’imagination, de notre liberté, et cela sans parler de culture, de connaissance, de civilisation. »
Tous ces
« risques pour le développement physique et psychique » et l’éventualité de tomber dans un «
 comportement addictif typique » peuvent être évités par le contrôle, la maîtrise et une utilisation modérée.
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